THÉOLOGIE

THÉOLOGIE
THÉOLOGIE

Alain définissait la théologie «une philosophie sans recul». Il voulait dire qu’elle manque d’indépendance critique, qu’elle est liée à un système de croyances, à un dogme, qu’elle accepte une orthodoxie, une autorité, une censure: vérité d’appareil, non vérité rationnelle. Berdiaeff insistait de même: la théologie est une «pensée collective»; elle exprime la pensée d’un groupe, elle n’est pas libre de précéder, d’excéder, de déborder ce que pense le groupe: vérité d’adhésion, d’accord communautaire, non d’initiative et d’invention personnelles. De son côté, Fichte avait raillé la théologie des conciles, le procédé qui consiste à fabriquer du dogmatique par décrets, par ralliement aux opinions moyennes: «vérité mise aux voix», non vérité qui s’impose de soi. Ces critiques, ces querelles ne se comprennent que dans le cadre d’une certaine histoire: celle de l’Occident chrétien, celle d’une culture qui s’est donné deux pôles antithétiques, la foi, la raison, et qui ne les a conciliés provisoirement que pour les opposer ensuite d’autant plus violemment.

1. Logique et théologie

Conflits de la foi et de la raison

La conciliation produisait deux sortes de rationalité: une rationalité de la foi, un rationnel théologique; une rationalité de la raison, un rationnel philosophique. Mais comme la foi l’emportait sur la raison, la théologie se subordonnait la philosophie. D’où la réaction des philosophes, leur émancipation, soit qu’ils n’admettent ni foi ni primat de la foi, soit qu’ils répartissent foi et raison en deux ordres séparés, soit qu’ils réservent une rationalité de la foi et militent cependant pour une raison pure, autonome, maîtresse de ses fins et de ses moyens, une raison qui rend raison d’elle-même sans recours à la foi. Attitude toujours un peu polémique du philosophe en rupture de théologie, attitude d’impatience, de méfiance, parfois d’hostilité. L’opposition finit par produire une philosophie comme antithéologie, une raison comme antireligion. Réduites aux rapports de la théologie et de la philosophie, les relations de la foi et de la raison n’ont jamais été tout à fait harmonieuses. La distinction des deux sciences était conçue pour les unir. Leur union a entraîné leur divorce.

Ces oscillations ou ces conflits sont parfaitement connus. Nous en vivons encore: le rationalisme, qui s’en défend, a lui-même une mémoire théologique. Ce qui est moins connu, et que Claude Geffré contribue à dévoiler (cf. L’Origine du mot , in chap. II), c’est que la théologie (le mot et la chose, la chose avec le mot) s’est introduite dans la culture occidentale non par le christianisme, mais par le paganisme (hellénique ou hellénistique).

Naissance de la théologie

Platon ne mentionne le terme que dans son sens étymologique: «théologie» signifie discours ou propos sur Dieu, sur les dieux; il ne l’utilise que pour répondre à la question: comment parler du divin, en bien parler, en parler comme un poète?

Aristote est le premier à spécifier, à délimiter un savoir comme théologique. Mais il nomme théologie la «philosophie première», cette partie de la philosophie qui étudie les causes nécessaires, éternelles, immuables. Pour lui, la théologie est la plus haute des sciences théorétiques, les deux autres étant la mathématique et la physique. «Théologie», chez Aristote, désigne donc ce que nous appellerions ontologie, métaphysique. Cet usage a prévalu chez le stoïcien Cléanthe, chez l’historien Plutarque. Surtout, il a fleuri, il s’est épanoui dans le néo-platonisme tardif.

Proclus rédige des Éléments de théologie non pour systématiser un ensemble de mythes et de rites (ce qu’il fait à l’occasion, ce qu’il fait de surcroît), mais pour disserter sur les principes ultimes du réel, pour expliquer comment il conçoit le fondement, la genèse et la structure de l’être. La théologie est sa philosophie, ou sa philosophie se veut théologique pour se distinguer d’une philosophie de la nature, d’une philosophie dite «physiologique» qui s’intéresse aux réalités sublunaires. Proclus est néanmoins responsable du glissement qui va suivre. Il raisonne par priorité sur du logique et de l’ontologique. Mais il ne dédaigne pas de raisonner accessoirement sur du mythologique. Il a lui aussi ses Écritures, les Oracles chaldaïques , et ses références cultuelles: la religion d’Homère, les «mystères» grecs, les «mystères» égyptiens, et jusqu’aux formulaires de prière des Barbares. Bref, avec lui, qui reprend et amplifie un effort de Porphyre, de Jamblique, on a l’idée très nette que la positivité religieuse peut elle-même devenir source de rationalité. Un nouveau type de théologie est né, qui survivra. Le pseudo-Denys, néo-platonicien chrétien, changera d’Écritures, de sacrements, de dogmes: il ne changera pas de style théologique.

Ordre et hiérarchie

Le rappel de ces circonstances n’éclaire pas seulement le sens d’un mot. Il indique la facture d’une discipline, les procédures d’une recherche, la technique d’un enseignement. La théologie paraît d’emblée comme une mise en ordre, un enchaînement de notions, un essai de rationaliser même l’irrationnel, d’établir en raison même l’accepté, le reçu, le transmis (par ouï-dire, par tradition orale), même l’inspiré, le révélé, le prescrit, tout ce qui n’est établi qu’en pratique (par obéissance, croyance, coutume). Dès lors, on comprend mieux pourquoi la théologie prétend, en quelque sorte par droit d’origine, au titre de science. Et l’on ne s’étonne plus que, même de nos jours où l’analyse du langage et le contrôle logique ont une rigueur accrue, la théologie revendique pour son corps de propositions des règles de formation, de déduction, et des critères de validation qui ne puissent être rejetés a priori, disqualifiés par principe, déclarés irrecevables. Jacques Poulain (cf. infra : Analyse du langage théologique ) va jusqu’à envisager pour elle «une autre vérification que la vérification de cohérence».

Cet aspect logique du théologique n’est pas l’essentiel. Avec le raisonnement, le théologien donne un gage (il est rationaliste à sa façon), mais seul le croire l’engage (il se confie à la foi plus qu’il ne se fie à la raison). On aurait tort pourtant de négliger ce souci de raisonner, de le sous-estimer. Bien avant que la méthode structurale ait transfiguré l’ethnologie, la mythologie, bien avant qu’elle ait détecté un ordre dans ce qu’on pensait être un lacis inextricable, un amas d’idées gratuites, arbitraires, sinon absurdes, bien avant qu’elle ait saisi que les symboliques concrètes sont abstraites et forment système, la méthode théologique, chez les chrétiens comme chez les païens (il convient d’ajouter les juifs, notamment d’Alexandrie, les maîtres de l’islam médiéval), avait élaboré des modèles et des matrices pour ordonner le donné, pour débrouiller l’écheveau des religions. La taxinomie des forces ou des éléments, la hiérarchie des dieux, des esprits, des anges, des héros, des génies n’étaient certes pas faciles à tenter. Mais la raison est ainsi faite que, même théologique ou mythologique, elle reste logique. On n’a pas à craindre qu’elle ne le soit pas, ou pas assez. Il faut plutôt redouter, comme disait Léon Brunschvicg, qu’elle ne le soit trop (de prémisses non vérifiées, on peut toujours tirer à conséquence).

Du rite au savoir

Si l’on accentue le tour logique de la raison théologique, on risque de voir dans la théologie un phénomène purement occidental (mais répandu sur plusieurs mondes: gréco-romain, judéo-chrétien, musulman, ce qui couvre l’Europe, une partie de l’Asie, une partie de l’Afrique). En fait, cette inquiétude n’est pas motivée. Paul Masson-Oursel a déjà répondu: en Orient comme en Occident, qu’il s’agisse du mazdéisme, de l’hindouisme, du jaïnisme, du bouddhisme, du confucianisme, du taoïsme, partout où une fonction de connaissance s’est greffée sur un rite, elle s’est d’abord appliquée à le connaître pour le faire, puis elle l’a fait en connaissance de cause, enfin elle l’a connu pour le connaître: elle l’a su et compris de façon désintéressée. Autrement dit, l’organon des Grecs n’est pas toute la logique. Avec une autre logique, un autre outillage mental (même si on les juge d’une moindre valeur), il y a eu ailleurs, autre part qu’au voisinage de la Méditerranée, d’autres théologies sur d’autres rituels. Le trait est constant, il est universel. Les fondateurs de religion annoncent, proclament, témoignent. Mais leurs oracles et leurs miracles n’ont qu’un temps. Après l’âge des prophètes vient tôt ou tard un autre âge: celui des glossateurs, celui des docteurs.

2. La théologie, science de la foi

Le temps n’est plus où la théologie pouvait légitimement revendiquer le titre de «reine des sciences» dans un système coordonné du savoir. L’avènement de la raison critique en philosophie, le développement des sciences modernes ont depuis longtemps ruiné cette prétention. Et, dans la société postreligieuse d’aujourd’hui, certains se demandent sérieusement si la théologie est autre chose que la fonction idéologique inévitable suscitée par toute grande religion et si elle a le statut scientifique suffisant pour pouvoir entrer en dialogue avec les autres disciplines du savoir humain. Il semble, d’ailleurs, que la fonction traditionnellement assumée par la théologie relève de plus en plus des diverses sciences des religions, qui connaissent un grand développement. La théologie ne serait alors plus que l’histoire des divers systèmes théologiques à travers les siècles. La théologie semble néanmoins toujours bien vivante. Si l’on en juge par le nombre des facultés où elle est enseignée, des congrès et des publications qui lui sont consacrés, elle constitue même une réalité sociale considérable. Il convient donc de se demander ce qu’elle dit d’elle-même, dans quelle mesure elle constitue un savoir autonome qui puisse rendre compte de ses principes et de ses méthodes. La théologie n’a de sens que par rapport aux doctrines de la religion particulière qu’elle thématise. Mais elle se définit par un langage rigoureux irréductible au simple langage religieux.

Bien qu’elle n’intéresse pas que le christianisme, mais aussi, notamment, le judaïsme et l’islam, c’est de son expression chrétienne qu’on traitera ici, en s’efforçant toutefois de l’envisager par-delà des divergences qui séparent encore la théologie catholique, la théologie orthodoxe et la théologie protestante, les clivages à l’intérieur de chaque Église pouvant être, en effet, plus importants que les barrières confessionnelles. Cette théologie chrétienne souffre nécessairement de la crise qui ébranle le christianisme face aux divers athéismes et à l’indifférence religieuse d’une société de plus en plus sécularisée. Elle connaît une crise des fondements comparable à celle qui atteint la philosophie. Même à l’intérieur des Églises, le rôle traditionnel de la théologie dite dogmatique est souvent contesté soit par une exégèse scientifique de plus en plus sûre d’elle-même, soit par les diverses sciences pratiques de l’agir chrétien. Mais, ainsi qu’à chaque grande étape de son histoire, la théologie aujourd’hui est plutôt invitée à une nouvelle naissance. Comme «science de la foi», elle ne peut plus se contenter de justifier et d’expliquer les énoncés traditionnels de la foi. Par un retour constant à ses sources bibliques, elle doit se livrer à une relecture herméneutique de sa propre tradition et à une reprise créatrice du message chrétien en fonction des interrogations de la pensée contemporaine. Comme dans le passé, le problème des rapports de la foi et de la raison est au cœur de la réflexion théologique. Cependant, à l’heure actuelle, il s’agit pour celle-ci d’un dialogue non seulement avec la raison philosophique, mais aussi avec les sciences de l’homme, dont elle doit prendre en compte les procédures et les résultats pour expliciter son propre statut critique. Enfin, le décalage entre les dogmes chrétiens et la pratique concrète du christianisme pose une grave question à la théologie qui ne doit jamais dissocier sa fonction «scientifique» d’une fonction prophétique.

Dans le champ moderne du savoir, le théologien fait l’objet d’une certaine condescendance. Il apparaît souvent comme le vestige respectable d’un monde révolu, mais, en fait, il reste le témoin, devant la raison moderne, de la question la plus ancienne et la plus actuelle: la question de Dieu.

L’origine du mot

Contrairement à ce qu’évoque leur usage traditionnel, ni le terme ni la notion de théologie n’ont leur origine dans la langue chrétienne; ils ne se trouvent pas explicitement dans les écrits du Nouveau Testament. Le mot «théologie» appartient au grec classique, et c’est Platon qui fut le premier à l’utiliser pour désigner la recherche de Dieu ou des dieux par la voie du logos (Rép. , II, 379 a, 5-6). En fait, il prenait ses distances par rapport aux discours mythiques des poètes (les premiers théologiens) pour instaurer en Occident la théologie comme approche rationnelle du problème de Dieu. Par là, il surmontait, sur le terrain même de la raison, l’humanisme sceptique et anthropocentrique des sophistes. Il exprimait au moyen de la raison (logos ) cette Réalité suprême (theos ) que la religion grecque primitive avait essayé de symboliser au moyen des mythes. Chez Aristote, la théologie, qu’il désigne comme «philosophie première» ou «science des premiers principes», devient le but ultime de toute la recherche philosophique en tant que pensée de l’être. C’est seulement plus tard que les successeurs du Stagirite appelleront «métaphysique» cette partie de la philosophie qui transcende le monde naturel. Aristote continue néanmoins d’appeler theologoi les poètes mythiques comme Hésiode et Homère, qu’il oppose aux premiers philosophes de la nature ou physikoi. Mais, on le sait mieux aujourd’hui (cf. W. Jaeger), ces présocratiques n’étaient pas seulement les premiers savants: ils étaient aussi les premiers théologiens, et ils furent vraiment à la naissance de la théologie naturelle comme création typique du génie philosophique grec.

Cette ambiguïté du mot «théologie» continua de peser sur le développement du concept de théologie chrétienne. Les premiers penseurs chrétiens hésitèrent longtemps à adopter ce terme, car il évoquait trop la théologie mythique des poètes païens. Et, quand il devint un mot classique du langage chrétien pour désigner quelque chose de radicalement nouveau: un discours sur le Dieu de Jésus-Christ, il ne put jamais faire totalement abstraction de son origine grecque, de ce contexte où il désignait le logos sur le Principe suprême de l’univers. Tel a été jusqu’à l’époque présente le destin même de la théologie chrétienne, dont la naissance est inéluctablement liée à la civilisation hellénique.

On a pu dire que la philosophie de Socrate, de Platon et d’Aristote commençait où finissait la théologie mythique des Grecs. Il est plus douteux que la théologie chrétienne ait commencé là où finissait la théologie naturelle des philosophes grecs. Même si les Pères grecs continuent d’appeler theologoi les poètes païens, ils se mettent, ainsi Origène et surtout Eusèbe, à recourir au mot «théologie» pour désigner le discours sur Dieu et son Christ. Dans l’œuvre de Denys l’Aréopagite, ce terme reçoit sa consécration officielle et sert à distinguer les diverses connaissances de Dieu (théologies «cataphatique», «apophatique», mystique). Mais il s’agit justement, sous l’influence du néo-platonisme, d’une synthèse extrêmement subtile de théologie naturelle et de théologie chrétienne. Plus importante est l’opposition des Pères grecs entre la theologia , ou doctrine de la Trinité, et l’oikonomia , ou doctrine du logos dans le mystère de son incarnation. Cette distinction est demeurée classique jusqu’à l’heure actuelle, surtout dans la théologie orthodoxe; et les théologiens modernes, quand ils font un usage privilégié de la notion d’«histoire du salut», cherchent à retrouver la richesse de l’oikonomia des Pères grecs. Dans l’Occident chrétien, le mot «théologie» fut long à s’acclimater. Saint Augustin l’utilise bien pour désigner l’enseignement sur Dieu (ratio sive sermo de Divinitate ), mais, quand il s’agit du discours sur l’ensemble des dogmes chrétiens, il préfère parler de doctrina christiana. C’est probablement chez Abélard que le mot revêt l’acception la plus proche de celle qu’il a aujourd’hui. Le Moyen Âge latin reste fidèle à l’expression augustinienne de doctrina christiana ; saint Thomas lui-même préfère parler de doctrina sacra pour désigner l’enseignement chrétien dans sa totalité, et il utilise rarement dans cette acception le mot theologia qu’il emploie plutôt au sens étymologique de discours sur Dieu. Il faut attendre la scolastique postérieure à saint Thomas pour que ce mot devienne le terme technique qui sert à caractériser avant tout l’explication rationnelle du contenu de la foi ou mieux la «science de la foi», au sens de l’epistèmè aristotélicienne.

La genèse du langage théologique

On pourrait être tenté d’envisager la théologie, en tant que discours rationnel sur Dieu, comme un événement culturel contingent provoqué par la rencontre de la révélation judéo-chrétienne et de la pensée grecque. Mais elle n’est pas d’abord et uniquement un discours objectif sur Dieu. Sa naissance coïncide avec l’acte même de la Parole de Dieu se communiquant librement aux hommes dans une histoire. En d’autres termes, la théologie est inscrite à titre d’exigence dans la nature même de la révélation et dans la nature de la foi comme accomplissement de cette révélation dans la subjectivité humaine.

Langage de la révélation et langage théologique

La théologie n’a pas d’existence en dehors de son objet, la Parole de Dieu ou révélation divine. Mais la révélation n’est révélation au sens fort, c’est-à-dire dévoilement du mystère de Dieu coïncidant avec une automanifestation de l’homme, que si elle est reçue et comprise dans la foi vive. Disons que la foi chrétienne porte nécessairement en elle une théologie, parce qu’elle est toujours en recherche (cogitatio fidei ) d’une intelligence plus plénière de la Parole de Dieu et parce que celle-ci ne s’identifie pas purement et simplement avec ce témoignage privilégié qu’est l’Écriture (Ancien et Nouveau Testament).

La théologie est donc en puissance dans la foi. Elle n’est pas autre chose que la foi vécue selon le régime même de l’esprit humain. Mais c’est aussi la nature même de la révélation qui appelle la théologie. Bien plus, il n’y a pas de révélation sans théologie entendue au sens le plus large du mot. La constitution Dei Verbum du deuxième Concile du Vatican a eu précisément le mérite de prendre ses distances vis-à-vis d’une révélation conçue comme un «corps de vérités doctrinales contenues dans l’Écriture et enseignées par l’Église», en invitant plutôt à la voir comme l’automanifestation de Dieu à travers l’histoire du salut, laquelle culmine dans le Christ. Dieu n’écrit pas un livre. Il se révèle dans les événements de l’histoire. Ces derniers sont déjà en eux-mêmes Parole de Dieu, mais ils ne dévoilent tout leur sens, comme manifestation du dessein de Dieu, que s’ils sont actualisés dans la conscience du peuple de Dieu de telle sorte qu’ils soient créateurs d’un langage nouveau. Qu’il s’agisse de la parole des prophètes d’Israël ou de la confession de foi rendue à Jésus-Christ par la première communauté chrétienne, ce langage n’est pas seulement la reproduction passive des événements qu’ils rapportent. C’est déjà un langage interprétatif sur la base d’un dialogue vivant avec Dieu, déjà une théologie.

Ainsi, la révélation n’est pas une Parole tombant d’en haut et reçue par une conscience humaine purement passive. Le langage interprétatif de la communauté confessante qui accueille la Parole de Dieu entre à titre constitutif dans la révélation elle-même. Celle-ci renvoie aux événements fondateurs de l’histoire du salut à travers des langages médiateurs qui sont des théologies (théologies de l’Alliance, de la création, du salut dans l’Ancien Testament; christologies et même ecclésiologies différentes dans le Nouveau Testament).

Un langage herméneutique

On peut définir la tâche de toute théologie, à chaque époque de l’histoire de l’Église, comme l’effort pour rendre plus intelligible et plus parlant le langage déjà constitué de la révélation. Ce langage est privilégié et normatif pour la foi de l’Église, mais il doit être assimilé de façon vivante en fonction d’une situation historique nouvelle et selon des catégories culturelles différentes. La théologie assume donc une fonction herméneutique, mesurée à la fois par la fidélité au témoignage scripturaire et par la nécessité de rendre parlante pour aujourd’hui la Parole de Dieu. La Parole, qui a trouvé sa première actualisation dans l’Écriture et dont le sens plénier a été explicité par la tradition vivante de l’Église, doit être actualisée aujourd’hui en fonction du mode de compréhension de l’homme moderne. La théologie, dont la tâche est toujours inachevée, demeure une étape indispensable entre le travail de l’exégèse et le ministère de la prédication. En ce sens-là, elle est une fonction ecclésiale permanente.

Le langage théologique est donc nécessairement herméneutique. Et, parce que son objet propre est une Réalité invisible, le mystère même de Dieu, il sera toujours inadéquat et multiple. C’est là le paradoxe de toute théologie comme discours humain sur une réalité indicible. Nous ne pouvons savoir de Dieu ce qu’Il est, et, en cette vie, nous lui sommes unis comme à un inconnu. Pourtant, nous pouvons parler de lui à partir du monde et de l’économie du salut, mais en sachant qu’il est impossible de maîtriser son mystère dans un concept propre et qu’il faut se résigner à le viser et à l’exprimer indirectement à travers des concepts renvoyant à d’autres réalités, ainsi que le préconise la doctrine de l’analogie.

La richesse suréminente du mystère de Dieu et du mystère du Christ est donc à l’origine d’une pluralité de langages et de systèmes théologiques. Cela se vérifie déjà, comme on l’a vu, dans le Nouveau Testament lui-même, qui présente, par exemple, une multiplicité d’expressions différentes visant à interpréter la réalité unique de l’œuvre du Christ: un salut, un rachat, une expiation, une substitution, un sacrifice, une manifestation... Cette diversité est plus impressionnante encore si l’on considère l’histoire de la théologie. C’est ainsi que deux christologies se déploient: l’une qui part d’en haut, c’est-à-dire du mystère impénétrable de l’unité de Jésus avec Dieu, tel qu’il fut défini par le Concile de Chalcédoine (451), l’autre qui part de la mission historique du Verbe incarné. À ces deux démarches correspondent historiquement deux grandes tendances théologiques, celle de l’école d’Alexandrie et celle de l’école d’Antioche, lesquelles s’excluent d’autant moins qu’il faut sans doute avoir recours à l’une et à l’autre pour ne pas trahir la richesse du mystère du Christ.

De manière plus immédiate, ce pluralisme théologique au cours des siècles tient aux éléments nouveaux fournis par la culture d’une époque, lesquels donnent naissance à de nouvelles structurations de la foi, c’est-à-dire à de nouveaux systèmes théologiques. Parmi ces éléments structurants, facteurs de variabilité, les doctrines philosophiques occupent une place privilégiée. Des anthropologies différentes, en particulier, en viennent à organiser diversement un donné de foi identique. Ainsi la théologie de l’image de Dieu et de la divinisation chez les Pères grecs se distingue-t-elle de la théologie de la béatitude dans la tradition latine (saint Augustin et saint Thomas). De même, à propos de la rédemption, on aboutit à une structuration différente, suivant que l’on rend compte du rapport entre le Christ et l’ensemble des hommes par l’idée platonicienne d’Universel concret (le Christ inclut déjà mystérieusement tous les hommes à sauver) ou que, comme saint Thomas, l’on cherche à exprimer ce rapport par la notion aristotélicienne de causalité instrumentale. La diversité des spiritualités et des pratiques chrétiennes joue aussi un rôle important, ainsi que le père Chenu le signale à propos du XIIIe siècle: «En définitive, écrit-il, les systèmes théologiques ne sont que l’expression des spiritualités.» Dépendant ainsi d’expériences culturelles et ecclésiales différentes, ces théologies fourniront des matériaux précieux pour l’élaboration des confessions de foi et des définitions dogmatiques selon les besoins de l’intégrité et de l’unité de la foi de l’Église. Dans la tradition catholique, il revient au magistère, en tant que conscience interprétative authentique de l’Écriture, de juger de la fidélité des nouveaux langages théologiques par rapport au contenu de la foi apostolique; mais le magistère ne peut jouer son rôle de règle de foi, avec le charisme qui lui est propre, qu’en demeurant à l’écoute de la Parole divine et des appels de l’Esprit répandu dans tout le peuple de Dieu.

Un ministère spécifique

La genèse du langage théologique étant ainsi comprise, il est vrai de dire que celui-ci est, en un sens, un «produit» de tout le peuple de Dieu, à un moment donné de l’histoire, sous la mouvance de l’Esprit. Tout croyant qui réfléchit sa foi en fonction de la contestation athée est déjà théologien. Il semble cependant préférable de définir la théologie comme un ministère spécifique à l’intérieur de l’Église. Elle est l’expression scientifique et réflexive de l’expérience ecclésiale de la foi; on peut la considérer comme étant la foi in statu scientiae . En tant que fonction sociale au service de toute l’Église, elle ne peut se contenter d’exprimer en un langage l’expérience de telle communauté chrétienne particulière, mais elle cherchera à élaborer, sur la foi chrétienne, un discours méthodique visant à une certaine universalité, même s’il est nécessairement soumis à des conditionnements sociologiques, culturels et ecclésiaux. Il convient donc de distinguer, d’une part, le charisme prophétique, qui permet à certains chrétiens de discerner les enjeux de l’Évangile dans le monde et de donner une expression nouvelle à la foi, et, d’autre part, le ministère théologique comme entreprise de la communauté des théologiens (laïcs ou clercs) pour exprimer la foi d’une manière rigoureuse et critique dans le langage des hommes d’aujourd’hui.

La théologie comme science de la foi

Sans préjuger l’extrême diversité des discours théologiques, on préférera donc réserver le terme de théologie à un discours de la foi ayant l’ambition de constituer un savoir systématique de type scientifique. Mais peut-on parler de science à propos de la théologie? Cette question évoque évidemment le projet de la théologie comme science selon saint Thomas, lequel, grâce à la théorie de la subalternation des sciences, réalisa le tour de force de montrer comment la théologie vérifie les critères de la science aristotélicienne sans se construire pour autant en science autonome en dehors de l’obéissance de la foi. La théologie comme science subalternée part de principes non évidents, les articles de foi. Elle mérite cependant la qualité de science, parce que ses principes sont connaissables avec évidence dans la science supérieure, celle de Dieu et des bienheureux. Le mérite de cette position est de montrer que c’est la qualité scientifique elle-même de la théologie qui exige la présence mystique de la foi. En fait, saint Thomas ne prétend pas accommoder la théologie aux exigences de la science aristotélicienne; il fait bien plutôt éclater le régime de celle-ci pour rendre compte de cette science particulière qu’est la théologie comme imitation déficiente de la science de Dieu. A fortiori ne faut-il pas aujourd’hui renoncer à parler de la théologie comme d’une «science», étant donné que ce concept ne désigne plus la connaissance par les causes, mais se définit avant tout par une méthode et implique toujours le critère de vérification?

La prétention scientifique de la théologie

Depuis l’avènement des sciences modernes, il est ainsi devenu tout à fait équivoque de vouloir faire de la théologie une «science». D’ailleurs, l’ancien domaine de la théologie, comme science constituée, hiérarchiquement organisée et maîtresse de sa méthode, est aujourd’hui fragmenté, comprenant d’une part une exégèse et des sciences historiques, telle l’histoire des doctrines ou des institutions, qui ont la prétention d’être scientifiques au sens moderne du mot, d’autre part une théologie spéculative qui a beaucoup de mal à rendre compte de son statut épistémologique. Il semble donc qu’au moment même où l’on hésite à qualifier de «science» la théologie comme explication rationnelle du contenu de la foi, certaines sciences théologiques annexes aient acquis leur autonomie et leur rigueur. Mais, s’il est vrai que la théologie doit renoncer à être une science à la manière des sciences modernes analytico-empiriques, on peut dire qu’elle est une science en ce qu’elle relève du modèle des sciences herméneutiques. En définitive, pourtant, ce débat est assez secondaire, le plus important étant pour la théologie de pouvoir revendiquer un statut scientifique, dans la mesure où elle tend de façon méthodique et critique à une connaissance ordonnée de son objet. Elle est un discours régional original, mais un discours objectif et cohérent qui manifeste la logique interne de la foi chrétienne. Auto-interprétation du christianisme, la théologie n’est pas disqualifiée pour autant, comme interprétation rigoureuse et critique du fait chrétien. Elle ne doit pas, en tout cas, renoncer à sa tâche spécifique, face à l’hétéro-interprétation du christianisme à laquelle se livrent, avec un succès grandissant, les sciences humaines de la religion.

La difficulté propre au langage théologique, c’est d’être en même temps un langage spéculatif et un langage auto-implicatif, un langage de vérité et un langage d’engagement. En effet, il suppose toujours la foi comme adhésion vive de l’esprit à la réalité même de Dieu. D’autre part, puisque son objet, Dieu, n’est pas une région de l’étant, il souffrira toujours d’une limite constitutive par rapport à son idéal de systématisation conceptuelle. Mais cela ne doit pas le faire renoncer à sa prétention scientifique. Le langage théologique peut être spéculatif sans cesser d’être «religieux», au sens où il est traversé de part en part par la présence théologale de Dieu. On doit seulement concéder que cette «présence» n’est pas thématisée pour elle-même, quand il s’agit en premier lieu de mettre en évidence la logique interne de la foi et non d’engendrer des attitudes. D’autre part, le langage théologique a ses propres critères de vérité. Par définition, ces critères ne peuvent être d’ordre empirique, puisque la théologie parle d’une réalité invisible. Cependant, la théologie s’appuie sur une objectivité historique: les événements fondateurs du christianisme. Un des critères de vérification propres au travail théologique consiste justement à confronter les nouvelles expressions de la foi avec le langage initial de la révélation portant sur ces événements fondateurs et aussi avec les diverses interprétations que l’on trouve dans la tradition de l’Église. Il n’en demeure pas moins vrai que, puisque l’objet de la théologie ne peut être reçu et compris que dans la foi, c’est la foi elle-même qui constitue le processus de vérification du discours théologique. Un discours théologique est vrai pour autant qu’il trouve sa propre effectuation dans la vie du croyant et dans la praxis ecclésiale.

Le statut critique de la théologie moderne

Revendiquer, à l’époque moderne, un statut scientifique pour la théologie, c’est dire que celle-ci ne doit jamais séparer sa soumission radicale à la Parole de Dieu d’une exigence critique. Sa tâche consiste en une réflexion critique sur les énoncés de la foi sous leur forme scripturaire, dogmatique, théologique, en fonction des exigences de la rationalité moderne, mais aussi à l’égard de la praxis concrète de l’Église à une époque historique donnée. Par là même, la théologie, comme actualisation de l’Évangile, exerce encore une fonction critique à l’égard de l’homme et de la société.

Pour assumer une telle fonction, elle doit demeurer dans un dialogue direct et constant avec les sciences modernes et avec la philosophie. Elle ne peut pas, en effet, parvenir à une actualisation du message chrétien qui soit vraiment «contemporaine» si elle en reste à une connaissance préscientifique et précritique du monde et de l’homme. Mais, surtout, elle doit se sentir d’emblée confrontée aux sciences humaines, qui, telles la psychologie, la sociologie, la théorie critique de la société, renouvellent les données de notre expérience immédiate et soumettent notre discours traditionnel sur Dieu et sur l’homme à une critique radicale. En même temps, néanmoins, elle doit être fidèle à elle-même et ne pas craindre d’interpeller les sciences humaines quant à leur tentation d’objectivation réductrice du phénomène humain. C’est pourquoi la théologie, comme la philosophie, a normalement sa place dans l’ensemble du savoir universitaire: elle empêche les savoirs particuliers de se replier sur eux-mêmes et elle maintient ouverte la question du sens.

Ce dialogue nouveau avec les sciences modernes ne remet pas en cause les rapports traditionnels et privilégiés entre la théologie et la philosophie. La théologie comme «science de la foi» doit philosopher, sous peine de tomber dans un biblicisme, un historicisme, un positivisme dogmatique et de renoncer à sa prétention de savoir critique. Qu’on la comprenne comme une interrogation humaine au cœur de la foi ou comme la foi à l’état de science, elle a besoin de la philosophie.

Le théologien est celui qui croit assez en Dieu pour faire sienne l’interrogation humaine dans ce qu’elle a de plus radical. Or l’histoire de la philosophie comme histoire de la raison selon sa plus grande liberté n’est pas sans signification pour l’intelligence de la Parole de Dieu. Aujourd’hui, par exemple, le meilleur moyen de dépasser la critique athée de la religion et de discerner son rôle purificateur pour la foi chrétienne, c’est de prendre connaissance des racines philosophiques de cette critique. La critique marxiste de la religion aide à mieux apprécier la fonction idéologique du christianisme par rapport à tel état de la société. La critique freudienne de la religion permet de dévoiler les structures inconscientes dans lesquelles s’enracine le langage sur Dieu. La critique du langage religieux par la philosophie analytique conduit à mieux préciser le «jeu de langage» qui est caractéristique du discours chrétien. D’une manière plus générale, la crise actuelle de la pensée métaphysique invite à discerner plus nettement le «théologique» qui vient proprement de la révélation et le «théologique» qui vient de la métaphysique comprise comme onto-théologie.

Par ailleurs, la théologie comme science de la foi recourt nécessairement aux instruments conceptuels que lui fournit la raison philosophique, selon le programme qu’elle s’est donné au Moyen Âge avec la formule: fides quaerens intellectum . Sans doute reçoit-elle de la révélation un certain nombre de concepts fondamentaux qui ont un rapport essentiel à l’événement historique du salut. Mais l’appropriation intelligible de ces concepts n’est jamais achevée. C’est justement la tâche permanente de la théologie comme intelligence de la foi d’élaborer un nouveau langage qui prenne toujours appui sur les concepts fondamentaux de la révélation, mais en cherchant à les dépasser pour rendre le contenu de la foi plus intelligible à tel moment historique donné. Les réalités de la foi n’étant accessibles qu’à travers une interprétation, le langage théologique sera nécessairement spéculatif, au moins en ce sens qu’il dépasse les limites du langage constatif. Dans son effort pour élaborer un nouveau langage spéculatif, la théologie chrétienne utilisera donc de façon privilégiée les ressources du langage philosophique; mais, pour cela, elle n’est liée de manière indissoluble avec aucun système conceptuel déterminé.

La fermentation actuelle de la théologie

La remise en cause de son discours traditionnel provoque, au sein de la théologie, une intense fermentation. Selon le mot de J. Kuhn au siècle dernier, la théologie est toujours une «nouvelle naissance», et il n’est point téméraire de dire qu’elle connaît, après le deuxième concile du Vatican, «un nouvel âge». Même s’ils marquent l’aboutissement d’un admirable labeur surtout ecclésiologique, les théologiens contemporains ne peuvent se contenter de commenter les textes du dernier concile. En raison de très graves mutations culturelles, ils sont affrontés à des tâches nouvelles, pour lesquelles, d’ailleurs, ils se sentent encore démunis. Ce renouveau – il convient de le souligner – n’est pas propre au catholicisme. Le dépassement des frontières confessionnelles est justement un trait tout à fait caractéristique de ce «nouvel âge de la théologie». Bien qu’il soit prématuré de porter un jugement sur la théologie contemporaine et même de vouloir en esquisser un tableau, on peut néanmoins en signaler les orientations les plus significatives.

Théologie dogmatique et herméneutique

Il semble tout d’abord que la théologie tende aujourd’hui à être plus une herméneutique qu’une dogmatique. Cela ne tient pas seulement à la fortune actuelle d’un mot qui ne désigne plus uniquement la science des règles d’interprétation des textes bibliques, mais à une double prise de conscience: d’une part, du fait que la Parole de Dieu révélée en Jésus-Christ ne s’identifie ni à la lettre de l’Écriture ni à la lettre des énoncés dogmatiques; d’autre part, de la nécessité de surmonter la distance culturelle qui sépare les textes scripturaires de la situation présente si l’on veut assurer l’actualisation signifiante du message chrétien. Alors que naguère, au moins à l’intérieur du catholicisme, on partait de l’enseignement du magistère pour montrer ensuite son accord avec l’Écriture et la tradition, les meilleurs théologiens actuels cherchent à dégager la signification de la Parole de Dieu pour aujourd’hui en se livrant à tout un travail d’interprétation et de déconstruction des textes scripturaires, des énoncés dogmatiques et théologiques. Ils font, en cela, acte de compréhension herméneutique. Définir l’intellectus fidei comme un acte herméneutique, c’est prendre au sérieux l’historicité de l’homme et promouvoir la «raison historique» au cœur du travail théologique; c’est se soucier moins de dégager l’intelligibilité d’une proposition doctrinale immuable que de déchiffrer le sens actuel d’un texte passé.

Cette orientation nouvelle conduit nécessairement à réviser la méthode de la théologie traditionnelle et la division tripartite de la théologie dogmatique issue de la Contre-Réforme: exposé de la doctrine de l’Église, démonstration ou explication par l’Écriture et la tradition, approfondissement spéculatif. Avant le deuxième concile du Vatican, les théologiens catholiques se contentaient trop souvent de lire l’Écriture à la lumière de l’enseignement du magistère, mais oubliaient de faire l’opération inverse, tout aussi indispensable, qui eût consisté à réinterpréter les énoncés dogmatiques à la lumière de l’Écriture et des résultats les plus récents de l’exégèse. Aujourd’hui, ils peuvent prendre au sérieux l’historicité des formules dogmatiques sans risquer le soupçon de modernisme, les réinterpréter comme des expressions humaines inadéquates du contenu de la foi en fonction d’un contexte socioculturel et d’une situation ecclésiale déterminée.

Dès lors qu’on évite d’identifier avec la Parole de Dieu soit l’Écriture, soit le dogme, on comprend mieux le rôle complémentaire de celui-ci et de celle-là dans l’appropriation progressive par l’Église de la plénitude de la vérité révélée. Ils sont l’un et l’autre des témoins garantis et irrévocables de la révélation divine, mais ils n’expriment jamais l’Évangile tout entier, qui demeure encore un avenir inédit. Concrètement, la fonction herméneutique de la théologie sera mesurée par l’articulation réciproque du dogme (et des confessions de foi) et de l’Écriture: on lit l’Écriture à l’intérieur de la tradition de l’Église; mais, à l’inverse, le retour à l’Écriture aide à discerner ce qui est réellement affirmé dans telle définition dogmatique et ce qui relève de la mentalité et des représentations spontanées d’une époque.

L’orientation herméneutique de la théologie entraîne comme autre conséquence le dépassement de l’opposition entre théologie spéculative et théologie positive. Cette distinction consacrait en fait le divorce entre la raison et l’histoire dans le travail théologique et le triomphe d’une scolastique coupée de ses sources bibliques. Le positivisme historique et le rationalisme théologique, c’est-à-dire la rupture entre le fait et le sens, ont la même origine: la méconnaissance d’une véritable compréhension herméneutique du passé.

La théologie dite positive se bornait à la constatation des documents du passé. La théologie spéculative se livrait alors à son travail de construction théorique, comme si l’on pouvait se contenter d’une distinction naïve entre un «donné» dont il eût été possible de connaître le sens en mettant entre parenthèses la compréhension qu’on en aurait aujourd’hui et un «construit» qui n’aurait qu’un rapport lointain avec ce donné. On comprend mieux actuellement qu’il n’y a pas d’auditus fidei sans intellectus fidei . On ne peut se livrer à l’inventaire des sources de la foi chrétienne sans un travail préalable d’interprétation. Cette révision des rapports entre théologie positive et théologie spéculative suppose évidemment une conception de la méthode théologique où la «raison théologique», ne soit pas identifiée purement et simplement avec la «raison spéculative» comme faculté a priori. À condition de ne pas la confondre avec celle de l’historicisme, il est possible d’utiliser pleinement la méthode historique en théologie, même dans sa partie systématique (ainsi que le fait aujourd’hui un théologien comme W. Pannenberg).

Enfin, dans la mesure où la théologie tend à devenir une herméneutique de la Parole de Dieu, la question se pose de savoir ce qui caractérise la théologie dogmatique par rapport à l’exégèse et à la «théologie biblique». Malgré son développement considérable à l’époque moderne, cette dernière ne peut supplanter la dogmatique comme actualisation du sens de la Parole de Dieu. Dans l’arche herméneutique qui va de l’exégèse à la prédication, la théologie dogmatique garde un rôle intermédiaire indispensable. Il faut plutôt voir le dogmaticien et le théologien biblique comme accomplissant deux tâches complémentaires et inséparables. D’une part, le premier travaille sur un donné plus large que le second: pas seulement la lettre de l’Écriture, mais les interprétations successives de la tradition et du magistère. D’autre part, le dogmaticien fait explicitement appel aux ressources de la pensée philosophique et des sciences humaines pour renouveler le langage de la foi. La tâche première est de restituer le sens primitif des témoignages scripturaires. Ce qu’on attend de l’herméneutique théologique, c’est qu’elle fasse parler la Parole de Dieu pour aujourd’hui.

Théologie chrétienne et onto-théologie

La remise en cause des présupposés philosophiques traditionnels de la théologie constitue un autre signe de la fermentation théologique actuelle. À l’intérieur du catholicisme comme des autres confessions chrétiennes, on tient en suspicion le caractère trop étroit de l’alliance entre le Dieu de la philosophie grecque et le Dieu de Jésus-Christ. C’est là le contrecoup inévitable de la crise de la pensée métaphysique à l’époque moderne; l’ébranlement, aussi, depuis le deuxième concile du Vatican, de l’idée même de philosophie chrétienne. Certains n’hésitent pas à annoncer l’avènement d’une théologie «non métaphysique», expression légitime à condition qu’on n’entende point par là que la théologie de demain doive cesser tout dialogue avec la philosophie, encore moins qu’elle doive renoncer à la portée ontologique de ses affirmations; il ne peut s’agir que de mettre en valeur l’originalité irréductible de la théologie chrétienne par rapport à toute théologie naturelle, en s’interrogeant sur l’interpénétration du métaphysique et du chrétien dans tout le déroulement de la tradition théologique.

L’horizon philosophique auquel se rattache cette critique de la métaphysique permet d’en évaluer la portée. On doit tout d’abord signaler à ce propos l’importance de la philosophie analytique, dont les positions radicales ont largement influé sur les théologiens de la mort de Dieu (Hamilton, Altizer, Van Buren). Mais si, pour ces derniers, le langage sur Dieu est devenu impossible, cette impossibilité porte non seulement sur une théologie métaphysique, mais sur toute théologie: une théologie chrétienne qui ne peut plus parler de Dieu est un non-sens. En revanche, le théologien doit tenir le plus grand compte de la critique heideggérienne de l’onto-théologie, comme essence cachée de la métaphysique (dès ses origines, la pensée philosophique a occulté la différence de l’être et de l’étant en posant comme fondement un Étant suprême qu’elle a identifié à Dieu). Même chez ses plus grands représentants, tel saint Thomas d’Aquin, la théologie traditionnelle échappe difficilement à la critique heideggérienne de la métaphysique. En fait, cette critique peut constituer une chance pour la théologie chrétienne et inaugurer une nouvelle «époque» où il ne sera plus possible de confondre le théologique qui vient proprement du Dieu de Jésus-Christ et le théologique de nature et de niveau purement ontologique. Il convient de mentionner ici, d’autre part, la critique kantienne de la connaissance objective de Dieu, qui continue d’exercer une influence considérable sur la théologie moderne, surtout à l’intérieur du protestantisme; les deux grands théologiens protestants du XXe siècle, Karl Barth et Rudolf Bultmann, peuvent être regardés comme des héritiers de cette critique kantienne. La théologie dite existentielle, de son côté, cherche à dépasser l’objectivisme de la théologie métaphysique traditionnelle; mais on peut se demander si ce procès de l’«objectivité» de Dieu n’est pas encore un avatar de l’onto-théologie et un moyen d’assurer le triomphe de la subjectivité humaine, Dieu étant réduit au sens qu’il a pour l’homme.

La tâche d’une théologie non métaphysique consisterait donc à dépasser la double impasse de l’objectivisme théologique et de l’existentialisme théologique. Une double voie semble s’ouvrir aujourd’hui en ce sens: d’une part, celle des «théologies de la parole», dans la ligne de l’ontologie du langage du second Heidegger (cf. la théologie herméneutique postbultmannienne, avec G. Ebeling, E. Fuchs, H. Ott); d’autre part, celle des «théologies de l’histoire», qui réagissent contre la «privatisation» de la foi de l’herméneutique existentiale et soulignent les implications sociales et politiques du christianisme (J. Moltmann, J. B. Metz et les théologies de la libération). La théologie de l’avenir ne peut renoncer à son ambition spéculative et systématique, mais elle doit prendre la liberté de dire ce qui lui est confié dans la révélation. Au lieu de chercher à expliquer le mystère irréductible de Dieu à partir d’un fondement préalable, que ce soit Dieu comme Être absolu ou l’homme dans son autocompréhension, elle doit être fidèle à son lieu propre, l’«économie» du Verbe incarné, et plus attentive à comprendre ces rapports entre théologie et économie, suivant à cet égard l’exemple, trop négligé jusque-là par les Latins, de l’Église d’Orient.

Théologie et praxis chrétiennes

Parmi les causes de la fermentation actuelle de la théologie, il faut encore mentionner le sentiment toujours plus vif que l’on a du décalage entre les affirmations théoriques de celle-ci et la pratique concrète des chrétiens. Cette prise de conscience tient évidemment à la difficulté d’être chrétien dans un monde sécularisé, mais aussi à l’urgence des questions posées au christianisme par le monde moderne. Elle semble liée surtout à la suspicion qu’incitent à jeter sur tout discours théologique la critique marxiste de l’idéologie et une nouvelle intelligence des rapports entre théorie et praxis. Or, s’il est vrai, comme on l’a dit plus haut, que la théologie est une herméneutique actualisante du message chrétien, cette tâche ne peut être menée à bien par une interprétation qui serait purement théorique. Les théologiens les plus lucides comprennent fort bien que la praxis est un élément essentiel de leur herméneutique, ainsi que le reconnaît, en reprenant le jugement de Marx à propos de la philosophie, J. Moltmann: «Le théologien ne se contente pas d’interpréter autrement le monde, l’histoire et la condition humaine; il s’agit pour lui, dans l’attente de la transformation divine, de les transformer.» La théologie doit en effet être créatrice de nouvelles possibilités d’existence, c’est-à-dire provoquer dans la vie des chrétiens, dans la société des hommes et dans l’histoire, des anticipations significatives de l’avenir promis en Jésus-Christ. C’est à la lumière de ce projet qu’il faut comprendre les nouveaux essais de «théologie politique», de «théologie de la libération» ou de «théologie de la révolution».

Par cette nouvelle économie des rapports entre théorie et praxis, la théologie est invitée à revenir sur sa propre tradition pour se demander si, à telle époque, elle n’a pas joué un rôle idéologique tendant à justifier et à sacraliser l’ordre social auquel l’Église se trouvait liée. Devenue plus consciente aujourd’hui des implications socio-politiques de son discours, elle ne peut se réclamer d’une illusoire neutralité sociale et politique sous le couvert de laquelle elle légitimerait en fait, inconsciemment, tel ou tel ordre social déterminé. Elle doit pouvoir exercer sa fonction prophétique au service d’une transformation de la société, sans verser nécessairement dans une politisation de la foi. Telle est justement la signification d’une «théologie politique» qui fait apparaître l’Église comme une instance critique de tout état historique de la société, au nom des «réserves eschatologiques» dont elle est le témoin.

La théologie exercera aussi ce rôle critique à l’égard de l’Église elle-même en tant qu’institution. Il est certain, par exemple, que, dans la mesure où elle se comprenait surtout comme la justification des positions du magistère, elle risquait d’apparaître comme une superstructure idéologique légitimant un système ecclésial qui n’est qu’une forme historique et relative de la structure essentielle et permanente de l’Église. Le ministère des théologiens à l’intérieur de celle-ci a une fonction propre, qui ne se confond pas avec celle du magistère ecclésial: ils sont l’un avec l’autre dans une interdépendance réciproque. Et, surtout au niveau de la recherche scientifique, les théologiens ne peuvent faire progresser l’intelligence de la foi de l’Église que s’ils accomplissent leur ministère dans la liberté. Mais, à l’inverse d’une théologie qui ne serait plus que l’instrument du magistère, il faut rejeter cet autre extrême d’une théologie qui ne serait plus que la justification théorique de la pratique de telle Église locale ou de tel groupe chrétien; une telle théologie risquerait vite de tomber dans l’idéologie et de compromettre l’unité de la foi.

La théologie chrétienne, qui voudrait être le lieu du dialogue entre l’Église et le monde, ne fera la preuve qu’elle est autre chose qu’une idéologie parmi d’autres qu’en étant fidèle à elle-même, c’est-à-dire en rendant témoignage à une Parole irréductible à la créativité humaine, même si elle ne cesse jamais d’en chercher l’incarnation dans une parole d’homme.

3. Analyse du langage théologique

Questions épistémologiques

Le langage théologique se présente comme l’ensemble des signes organisables en un ensemble de propositions descriptives qui ne peuvent être comprises qu’en fonction d’un terme clef: «Dieu». Ce terme spécifie à lui seul un ensemble propositionnel plus vaste: le langage religieux, dont il détermine le sens soit en étant un élément explicite d’au moins une proposition de cet ensemble, soit formellement à titre de modificateur logique de l’énoncé, soit les deux à la fois. La distinction entre langage religieux et langage théologique est due à la religion occidentale dominante, le christianisme: par elle on vise, depuis Abélard, à isoler les énoncés scientifiques décrivant Dieu et ses relations avec les hommes et le monde, et organisés en un corps de propositions systématiquement ordonnées, des énoncés religieux dont la détermination et la précision sont suffisantes pour exprimer une prière, effectuer un acte liturgique ou prescrire une forme de vie, mais qui n’ont pas forcément une intention scientifique ou critique.

La question: le discours théologique est-il scientifique? ne se dissocie plus d’une autre, plus radicale: le langage religieux a-t-il un sens? Ce n’est pas seulement la possibilité de connaître Dieu qui en est en question, mais la possibilité même d’en parler sans se limiter à transposer ses émotions dans un langage objectivant. En rejetant le langage religieux comme non-sens, les positivistes du Cercle de Vienne répétaient l’attitude traditionnelle adoptée, pour d’autres raisons, par les mystiques en climat théocentrique: alors que ces derniers voyaient dans le langage religieux un instrument impuissant à représenter celui qui est au-delà de tout nom, celui qui ne peut être connu que comme inconnaissable, les positivistes logiques ont dénoncé dans l’«objet» visé par le langage religieux un pseudo-objet, un objet conçu de telle façon que le discours qui le décrit soit invérifiable. Dans un cas, Dieu échappe aux prises de prédicats qui ne conviennent qu’à des créatures, à des êtres dérivés: dans l’autre, la façon même dont on se réfère à lui en faisant de lui un être nécessaire, hors de l’espace et du temps, et cause du monde, fait de Dieu un référent inobservable, incapable d’être le sujet de quelque énoncé que ce soit. La question et la réponse positivistes concernent la totalité du langage religieux dans la mesure où le contenu même de tout énoncé, descriptif ou prescriptif, incluant «Dieu» empêcherait de le reconnaître syntaxiquement bien formé, formellement valide, apte à transmettre un contenu quelconque et à se référer univoquement à une réalité. L’accusation de non-sens porte a fortiori aussi bien sur une théologie dite naturelle dont tous les énoncés doivent être démontrables que sur une théologie de la révélation, discours «subalterné» par exemple à la foi au Dieu chrétien, fondé sur la Parole de Dieu et destiné à en montrer la cohérence et la complétude. Après avoir sondé les possibilités de signifier du langage religieux à partir des étalons de signification les plus courants, on pourra déceler en quelle mesure les propositions théologiques parviennent à «correspondre» à leur objet.

La possibilité du langage religieux

Au niveau d’abstraction où se pose la question du sens des propositions religieuses, le langage religieux apparaît comme un système de significations ordonné à l’existence d’une réalité singulière ou de plusieurs: ses difficultés lui viennent de ce que ses concepts opératoires déterminent cette existence a priori, nécessairement en dehors de toute expérience soumise aux conditions spatio-temporelles. Dieu se différencie et s’individue comme objet transcendant, inassimilable aux éléments subjectifs ou objectifs du monde. La formation du concept de Dieu présuppose celle du concept de monde, totalité achevée qu’on peut soumettre à un discours qui en exprime une connaissance complète. Dieu est la condition nécessaire et suffisante de l’existence de ce monde comme de l’existence de ceux qui décrivent ce monde ou y agissent, les sujets parlants. Le postulat nécessaire à la systématisation religieuse des relations et des modalités d’existence est celui de l’existence du principe de toute autre existence. Si l’on ne peut penser l’existant spatio-temporel qu’en relation avec Dieu, celui-ci doit pouvoir être mis en relation avec chaque observable, chaque porteur de discours: omniprésence et ubiquité dénotent cette propriété relationnelle de Dieu au monde et achèvent l’isolation du référent divin par rapport aux autres.

La façon dont le langage religieux schématise l’existence de Dieu et utilise les termes qui se réfèrent à lui empêche de classer ce langage dans les langages descriptifs des sciences naturelles et en fait un langage de degré second par rapport à ceux-ci, mais ne rend pas incompréhensibles le contenu conceptuel de Dieu ou les énoncés qui le concernent. La schématisation logique du concept de Dieu, la façon dont on construit logiquement l’unicité de la réalité divine en la rattachant à la multiplicité des données sensibles et des individus savants ou opérants ne contraint pas non plus à ôter à Dieu tous les prédicats des êtres non divins: Dieu n’est pas imprédicable de la même façon qu’on ne peut dire que «7 est vert» ou «7 n’est pas vert». Par ailleurs, réduire le dicible à l’observable, le sens des propositions scientifiques à la méthode de vérification impliquerait qu’une proposition ne puisse avoir de sens qu’en étant effectivement vérifiée et que les propositions fausses soient absurdes: la réalité de l’organisation du complexe d’objets mondains prouvant seule la possibilité de les organiser ainsi.

Ne pas reconnaître au principe de vérification une validité universelle n’autorise cependant pas à rejeter l’accusation de non-sens portée contre le langage religieux. Le fait que le sens des propositions des sciences naturelles soit dépendant de l’existence des observables nommés et des relations qui les unissent indique que la vérité de leur discours ne leur est pas acquise d’avance du seul fait qu’il ne traite que de l’observable. Cette théorie du sens ordonnée à une théorie de la vérité ne dénote donc qu’une propriété logique de toute réalité corrélative d’un discours descriptif: son caractère de fait , le fait que son existence ne soit pas impliquée nécessairement par la proposition qui dit cette réalité (et ce par opposition à l’implication de l’existence du nommé, par la signification du symbole simple qui le nomme). Ce jeu logique instauré par cette non-implication de la réalité par le discours descriptif demeure la leçon du positivisme logique; cette leçon est généralisable à tout discours. Appliquée au langage religieux, elle a pour conséquence que, même si «Dieu» est employé comme un nom propre, la vérité du postulat d’existence de Dieu n’en est pas pour autant prouvée. Il s’ensuit aussi que tout énoncé religieux ne peut appréhender son objet, les «états de choses» divins, que sous la catégorie de faits, de complexes accidentels. Le langage religieux apparaît alors possible dans la mesure où l’on ne peut prouver qu’il est impossible.

Cette confrontation du langage religieux aux catégories de la logique ne semble pas établir pour autant sa spécificité. Ne reste-t-il pas à attribuer les énoncés religieux aux poètes comme Platon leur imputait la théologie (Rép. , 379 a, 5)? La fonction référentielle ou sémantique du langage religieux serait analogue à celle du texte poétique: l’existence du référent serait anticipée dans les deux cas par un ensemble de fictions ordonnées en systèmes d’oppositions et en chaînes d’équivalences, déployées en récits ou segmentées en descriptions partielles. L’usage du langage poétique et du langage scientifique exige qu’on puisse faire abstraction du sujet savant ou poète: seul compte le fait qui vérifie la proposition scientifique; le sujet qui l’exprime est indifférent à sa vérité; l’œuvre poétique tient son caractère du type particulier de coordination de ses symboles élémentaires; produit du travail du langage sur lui-même et visée comme telle, elle n’oblige pas son récepteur à tenter de retracer l’unité de sens présente chez son auteur lors de sa création, mais tolère et appelle des interprétations diverses. Impliquant une dérivation de l’existence du monde et de celle du sujet parlant à partir de l’existence de Dieu, le langage religieux ne bénéficie pas de la même neutralité: énoncer la création du monde par Dieu, ce n’est pas seulement dresser un constat. Celui qui l’énonce s’engage à se conduire à l’égard de Dieu comme à l’égard de son créateur, et cet énoncé, émis sur le mode indicatif, fait déjà partie de cette conduite. Le langage biblique, approché comme l’horizon du langage «ordinaire» religieux de l’Occident, est auto-implicatif (D. Evans): il présuppose que l’existence du sujet parlant et les modalités de celle-ci soient déterminées par ce qu’il dit et que ses énoncés religieux expriment un acquiescement à leur vérité, engagent à une conduite et réalisent déjà cet engagement. Le langage biblique conçoit la création sur le modèle de l’implication de l’action par la parole qui s’y réfère et établit ainsi le langage religieux du croyant en corrélation avec la Parole de Dieu, elle aussi auto-implicative. Par elle, Dieu établit ses créatures dans un statut de dépendance tout en donnant à chacune d’elles un rôle propre et il s’engage vis-à-vis d’elles en promettant de maintenir l’ordre qu’il a créé. Le sujet n’atteint la vérité de l’unicité de son existence que dans des énoncés religieux portant sur sa vie et sur celle de l’univers, même si ces énoncés religieux ne suffisent pas, à eux seuls, à lui permettre d’accéder à l’objet de la promesse divine, le salut (J. Ladrière).

Si le langage religieux implique la situation particulière du sujet par rapport à Dieu et si cette implication permet de schématiser la coordination de la totalité des faits qui arrivent à ce sujet et de ses actions, comment le langage théologique est-il possible? Comment sa validité peut-elle déborder les limites de la personne qui l’adopte? Comment peut-il recevoir une autre vérification que la vérification de cohérence entre le langage et l’action que peut assurer la description d’un comportement de l’homme religieux qui serait isomorphe à ses assertions?

La scientificité du langage théologique

Comment le théologien peut-il rendre compte de la vérité de ses affirmations? Deux modèles de justification se proposent selon que le postulat de l’existence de Dieu et l’idée de Dieu ont été déterminés primitivement en référence à l’idée de monde ou à l’idée de sujet personnel.

Dans le premier cas, les propositions théologiques explicitant la notion de Dieu et énonçant les relations de Dieu avec le monde et avec les sujets personnels sont vraies si elles sont compatibles avec la façon dont on a singularisé l’existence de Dieu comme principe de l’existence du monde et si elles ne sont pas mutuellement incompatibles. La lecture théologique des faits du monde qui s’ensuit peut cependant être en contradiction avec la lecture profane de ces faits: la confrontation de ces énoncés théologiques aux faits décrits dans leur immédiateté laisse indécidable la vérité des deux propositions contraires. La souffrance de l’innocent peut témoigner de l’inexistence de Dieu aussi bien que d’une bonté divine. La bonté attribuée à Dieu et comprise par référence à celle de l’homme subit les modifications conceptuelles nécessaires pour être compatible avec tous les faits, même avec ceux qui témoigneraient du contraire. Aux yeux de l’empirisme logique, la notion de bonté serait ainsi vidée peu à peu de son sens originaire, c’est-à-dire de tout sens: l’ensemble des restrictions nécessaires à la compréhension du concept théologique de bonté rendrait non infirmables les énoncés qui en traitent (A. Flew). Ce «mal endémique de l’assertion théologique» lié à la possibilité d’une double lecture du fait brut révélerait que le cercle auto-implicatif des énoncés de foi indique le véritable statut logique des propositions théologiques, leur caractère tautologique: ce ne seraient que des propositions vides de sens, vraies quels que soient les faits et quelle que soit la vérité ou la fausseté des propositions élémentaires qui les composent; elles n’expliciteraient que les conventions de départ réglant l’usage du terme «Dieu» et conduiraient au «suicide» épistémologique. La critique empiriste rejoint une difficulté interne de la théologie, la nécessité pour le discours théologique d’éviter l’anthropomorphisme, lié à l’univocité des termes empruntés au langage ordinaire ou à celui des sciences des réalités dérivées, ainsi que l’agnosticisme, lequel dérive l’impossibilité des prédications théologiques à partir de l’incompatibilité mutuelle des prédicats théologiques eux-mêmes, tirant ainsi les conséquences de l’équivocité des concepts engagés. La solution traditionnelle est celle de l’analogia entis sous sa double forme: l’analogie d’attribution et l’analogie de proportionnalité propre. La première permet de stipuler que les qualités attribuées à Dieu le sont comme à leur premier analogué, le sujet en qui elles sont parfaitement réalisées: elles ne sont attribuables à la créature que de façon dérivée, puisque celle-ci ne les possède qu’imparfaitement. Distincte de la simple métaphore (qui attribue de façon impropre à une entité ce qui ne convient à proprement parler qu’à un autre type d’être), l’analogie de proportionnalité propre consiste à respecter la nature spécifique des différents existants auxquels est attribuée une qualité et à reconnaître les ressemblances de famille joignant les deux significations du même prédicat. La connaissance par analogie, en établissant que la sagesse de Dieu est à la nature divine ce que la sagesse de l’homme est à sa nature, ne prétend pas percer le mystère de cette sagesse transcendante. Cette connaissance est celle d’un rapport: si l’on réduit tout énoncé analogique à ses caractéristiques formelles, on constate qu’il indique une isomorphie entre Dieu et l’homme. Les relations qui lient les termes, les êtres et leur propriété les unissent dans les propriétés formelles de non-réflexivité, d’asymétrie et de non-transitivité (J. Bochenski). Mais ces propriétés formelles du discours théologique analogique ne peuvent lui assurer d’elles-mêmes une confirmation par les faits, elles présupposent la différenciation des faits divins et des faits du monde. Elles ne constituent donc qu’une loi de dérivation des prédicats subordonnée à une «grammaire» primitive de l’existence: sorte de calcul des prédicats de second ordre réglant la coordination des usages des termes «existence», «monde», «sujet» et «Dieu».

Le second type de justification des énoncés théologiques fait reposer l’ensemble de leurs prédicats existentiels sur les relations liant l’existence de Dieu à celle des sujets personnels: les propositions théologiques primitives énoncent les relations de dépendance de l’existence des individus à l’égard de l’existence de Dieu et les modalités de réalisation de cette dépendance. Les propositions théologiques générales sont vraies si les relations de la personne divine aux hommes, décrites et conçues sur le modèle de la communication, sont compatibles avec les déterminations modales des deux types d’existence et avec les connotations existentielles des catégories de Dieu et de sujet impliquées dans l’idée de salut. Les propositions théologiques singulières (se rapportant à tel individu ou à tel événement) sont vraies si l’on peut les dériver par des règles d’application à partir des propositions théologiques générales. Ces règles d’application subordonnent une logique de l’interprétation à une logique de l’autorité. «Dieu» se réfère alors à celui qui a inspiré les vérités fondamentales, désigné ceux qui les révèlent et indiqué comment les propositions appelant un certain comportement à l’égard de leur origine première sont corroborées dans le cadre d’une «alliance» par les actions de ses représentants (ses prophètes, ses témoins ou les dépositaires de la foi) et les effets de ces actions. Le contenu et les normes de concaténation des dogmes, considérés comme propositions de base, règlent à leur tour l’ensemble symétrique des principes de l’interprétation: le croyant transfère par analogie ou par contraste les interprétations consacrées des situations historiques particulières aux situations historiques qui lui sont propres.

L’ensemble des propositions rassemblées sous l’appellation de théologie naturelle ou de théologie rationnelle est habituellement soumis au premier schéma de justification alors que les mécanismes de révélation par procuration appellent le second type de contrôle. Aucune de ces justifications n’autorise à elle seule un usage transcendant des concepts déterminant la réalité divine: aucune des règles indiquant la possibilité d’attribuer des prédicats à un Dieu dont l’existence a été différenciée de celle de tout autre être ne permet de prouver que cet être existe et qu’il possède effectivement ces prédicats.

La conjonction de ces deux voies de justification s’effectue lorsque le porteur des propositions théologiques se proclame lui-même porteur des prédicats divins, fils de Dieu, et identifie son discours théologique à la Parole de Dieu. Couplant à propos de lui-même et de l’objet de son discours (Dieu) les deux schèmes corrélatifs de différenciation existentielle, le discours d’un Dieu incarné ouvre l’espace logique de la réversibilité des opérations existentielles: il indique la possibilité pour le croyant de participer à l’existence en Dieu et les modalités cognitives et opératoires de l’accession à cette participation. La garantie de vérité de cette «parole théologique» devient la possibilité d’établir une chaîne d’équivalences entre le discours théologique, les faits et l’action: cette parole historiquement réalisée est la condition suffisante et nécessaire des faits du monde auxquels elle se réfère; elle est elle-même auto-implicative, performative. Son aptitude à réaliser les faits qu’elle exprime témoigne de la vérité des constats compatibles avec ses énoncés proprement performatifs ou dont la vérité est présupposée par ces derniers. À la différence du langage du prophète ou du croyant, la fonction performative rejoint la fonction salvifique même si cette dernière ne se résout pas dans la première: l’incarnation du Dieu, réalisée en fonction du salut, n’est pas à proprement parler un acte de discours théologique mais conditionne celui-ci et sa performativité. Dans le langage biblique, l’action salvatrice est rendue possible par la substituabilité à l’intérêt essentiel de la personne du Christ: sa persistance dans l’existence, de l’intérêt essentiel de chaque autre singularité personnelle. Cette équivalence entre le discours, l’action du dieu incarné et certains faits doit montrer la qualité divine de son existence et en même temps proposer un modèle d’adéquation entre les fins de l’action, les moyens de les atteindre et la substituabilité de la recherche de l’intérêt essentiel d’autrui (son salut) à la recherche de son propre intérêt. L’impératif de l’amour universel du prochain reçoit de sa réalisation dans le Christ la garantie de sa réalisabilité par chacun.

Le discours théologique qui décrit celui du fils de Dieu acquiert sa scientificité s’il peut montrer cette chaîne d’implications réciproques liant la parole révélée aux actes du révélateur et lier ce discours particulier aux vérités de la théologie rationnelle en indiquant comment la parole révélée «convient» à la notion générale de Dieu et aux systèmes de dérivations existentielles qu’elle implique: le discours néo-testamentaire doit apparaître comme une application particulière des possibilités prédicatives de «Dieu». Ce discours n’est pas métathéologique mais reste analogue à celui de la révélation en ce qu’il est, en son existence et en son contenu, un acte inséré dans l’histoire du salut et parce qu’il doit s’assurer de sa compatibilité avec le message de l’Écriture. Il doit également garantir la possibilité de transcrire ses vérités générales et ses vérités de faits en énoncés prescrivant des actions singulières; la seule règle générale de transcription qui soit valide reste alors le commandement universalisable d’amour, qui laisse indéterminée la validité de toute application singulière pour tout ce qui déborde la finalité suivante: sauvegarder la persistance du prochain dans l’existence.

Le discours théologique fournit par là le schème paradigmatique de tout discours scientifique: l’équivalence du discours, de l’action et du fait, l’implication réciproque des propositions théologiques générales et des propositions théologiques singulières. Mais il règle par son contenu même la possibilité de sa scientificité sur celle du savoir divin et de l’événement de sa transmission, au niveau de la révélation aussi bien que de ses applications quotidiennes. Dans ces conditions, le discours métathéologique qui traite des conditions épistémologiques du langage théologique peut poser les exigences logiques que doit respecter toute théologie, mais il ne lui est pas permis d’empiéter sur ses applications. Il ne peut constater l’adéquation d’une théologie particulière à ces exigences universalisables sans s’assimiler ipso facto au discours théologique qu’il analyse et perdre ainsi la neutralité d’une attitude purement descriptive.

théologie [ teɔlɔʒi ] n. f.
XIIIe; lat. chrét. theologia, mot gr.; cf. théo- et -logie
1Étude des questions religieuses fondée principalement sur les textes sacrés, les dogmes et la tradition ( révélation). Théologie scolastique ou spéculative : systématisation rationnelle des données fournies par la théologie positive (connaissance des dogmes d'après l'Écriture sainte, les Pères de l'Église). Théologie dogmatique ou morale. aussi casuistique. « Si le christianisme est chose révélée, l'occupation capitale du chrétien n'est-elle pas l'étude de cette révélation même, c'est-à-dire la théologie ? » (Renan). Théologie polémique. apologétique. Importance de la théologie au Moyen Âge. scolastique. École, faculté, professeur, études de théologie. Par anal. La théologie juive.
2(Avec un déterm.) Doctrine de l'Église, étude théologique portant sur un point déterminé de dogme, de morale, etc. La théologie sacramentaire.

théologie nom féminin (latin ecclésiastique theologia, du grec theologia) Étude concernant la divinité et plus généralement la religion. Dans un sens chrétien, étude portant sur Dieu et les choses divines à la lumière de la Révélation. Doctrine religieuse d'un auteur ou d'une école. ● théologie (expressions) nom féminin (latin ecclésiastique theologia, du grec theologia) Théologie naturelle, synonyme de théodicée. Théologie négative, synonyme de théologie apophatique. ● théologie (synonymes) nom féminin (latin ecclésiastique theologia, du grec theologia) Théologie naturelle
Synonymes :
- théodicée

théologie
n. f.
d1./d étude des questions religieuses, réflexion sur Dieu et sur le salut de l'homme s'appuyant essentiellement sur les écritures et la Tradition.
d2./d Doctrine théologique d'un auteur, d'une école.

⇒THÉOLOGIE, subst. fém.
A. — PHILOS., RELIG. ,,Science de Dieu, de ses attributs, de ses rapports avec le monde et avec l'homme`` (LAL. 1968). Théologie chrétienne, juive. La théologie musulmane a reconnu formellement le principe de l'existence des saints, mais en se refusant tant à en canoniser aucun de façon expresse, qu'à fixer le rituel de leur culte (G.-H. BOUSQUET, Prat. rit. Islâm, 1949, p. 2).
— [En dehors du monothéisme] Les théologies hindoues sont faites d'un tissu dont la chaîne est métaphysique et la trame mythique (Philos., Relig., 1957, p. 52-12).
B. — En partic. [Dans les relig. chrét.]
1. RELIGION
a) Cette science fondée sur la Révélation et la Tradition; p. méton., classe, section d'études où elle est enseignée. Professeur de théologie; bachelier, docteur, maître en théologie; étudiant en théologie; être en première année de théologie. [Condillac] avait fait des études de théologie et avait été ordonné prêtre (GUÉHENNO, Jean-Jacques, 1948, p. 226). Une commission du troisième cycle de l'enseignement supérieur de la théologie protestante est instituée auprès de la Faculté de théologie protestante de l'université de Strasbourg (Encyclop. éduc., 1960, p. 232). V. prédication1 ex. 5.
Loc. verb. Faire sa théologie. Faire des études de théologie. (Dict. XIXe et XXe s.).
— [Suivi d'un détermin. précisant les grands axes de ce domaine]
Théologie positive. Inventaire du contenu des sources de la Révélation (d'apr. FOULQ.-ST-JEAN 1962). La théologie positive [est] (...) fondée sur la révélation des Écritures (G. BATAILLE, Exp. int., 1943, p. 19). La théologie positive (...) se subdivise elle-même en théologie scripturaire, patristique, conciliaire (ROB. 1985).
Théologie scolastique ou spéculative. Élaboration des données de cet inventaire en un système cohérent (d'apr. FOULQ.-ST-JEAN 1962). Il est (...) certain que la théologie scolastique a grandement aidé au développement de l'esprit scientifique moderne et en a préparé la naissance (Théol. cath. t. 4, 1 1920, p. 762).
Théologie de la parole. Connaissance que l'on peut avoir de Dieu à partir de la Bible, considérée comme la parole de Dieu, et de la prédication qui la transmet. Il faut se souvenir que la pensée centrale du protestantisme est une théologie de la parole. La parole de Dieu c'est l'acte de Dieu, ce que Dieu déclare, il le fait effectivement (Philos., Relig., 1957, p. 50-7).
Théologie dogmatique. Exposé des dogmes. La théologie se divise en dogmatique et en morale. La théologie dogmatique, outre les prolégomènes comprenant les discussions relatives aux sources de l'autorité divine, se divise en quinze traités ayant pour objet tous les dogmes du christianisme (RENAN, Souv. enf., 1883, p. 281).
Théologie morale. Exposé des normes de la conduite fondées sur la volonté de Dieu. La loi divine, prise au sens strict, ne signifie que les commandements de Dieu et c'est par rapport à cette législation que la théologie morale définit le péché (GILSON, Espr. philos. médiév., 1931, p. 125).
Théologie négative ou apophatique. Expression de la nature de Dieu par des négations qui ont pour but de souligner l'insuffisance des concepts qu'on Lui applique (d'apr. FOULQ.-ST-JEAN 1962). L'évolution créatrice ne trouve-t-elle pas son moteur véritable dans le Dieu sans attributs de la théologie négative? (J. VUILLEMIN, Être et trav., 1949, p. 80). V. négatif ex. 4.
b) [Suivi d'un détermin. indiquant un aspect ou un angle privilégié]
— Point de doctrine particulier. Théologie de la Trinité; théologie de la grâce, de la prédestination; théologie du péché originel; théologie du mariage. Hugues de Saint-Victor et Pierre Lombard (...) peuvent être présentés comme les véritables fondateurs de la théologie des sacrements (Théol. cath. t. 14, 1 1939, p. 543).
— Doctrine particulière à une personne, à une école, à une époque. Théologie johannique, paulinienne; théologie alexandrine, augustinienne; théologie classique, médiévale; théologie de Port-Royal, de la Réforme. Leibniz prend position contre la théologie de ses prédécesseurs (Gds cour. pensée math., 1948, p. 530).
c) P. méton. Livre, traité de théologie. J'engage les personnes qui voudraient se rendre compte de cela à lire dans une théologie le traité des sacrements (RENAN, Souv. enf., 1883, p. 284).
2. PHILOSOPHIE
a) Théologie naturelle ou rationnelle. ,,Partie de la métaphysique qui traite de l'existence et des attributs de Dieu, de la destinée de l'homme et de l'immortalité de l'âme en s'appuyant uniquement sur la raison`` (MORF. Philos. 1980). Synon. théodicée. La théologie naturelle ou théodicée tient à présenter ses preuves de l'existence de Dieu dans un ordre naturel et scientifique, qui permet à la connaissance de progresser du connu à l'inconnu (Théol. cath. t. 4, 1 1920, p. 924). En refusant l'idée d'une théologie naturelle ou rationnelle, la Réforme s'est également fermée à l'idée d'une éthique naturelle (Univers écon. et soc., 1960, p. 64-14).
b) ) Théologie physique. Science qui démontre l'existence de Dieu et sa sagesse par l'ordre qui règne dans l'univers matériel (d'apr. LAL. 1968).
) [Chez Kant, p. oppos. à la théologie physique] Théologie morale. Science qui démontre l'existence de Dieu par les fins morales de l'homme (d'apr. LAL. 1968).
Prononc. et Orth.:[]. Ac. 1694, 1718: theo-, dep. 1740: théo-. Étymol. et Hist. A. 1. a) « (Dans le cadre de la religion chrétienne) étude des questions religieuses fondée sur l'Écriture et la Tradition » (ca 1240 d'apr. FEW t. 13, 1, p. 304 a); 1261, juin (Doc. hist. inéd., éd. M. Champollion-Figeac, t. 2, 1843, 2e part., p. 68: tous les estudians de Paris tant maistres comme escoliers, en théologie, décret, médecine); ca 1265 (BRUNET LATIN, Trésor, éd. Fr. J. Carmody, I, III, 2: theologie [...] par li nous avons la foi catholique et la loi de la sainte eglise et briement nous ensegne tout ce que a divinité apartient); ca 1350 docteres en le theologie (GILLES LI MUISIS, Poésies, I, 325 ds T.-L.); 1636 theologie positive (MONET); 1671 theologie morale; scholastique (POMEY); b) 1551 (JEAN MARTIN, La Theologie naturelle de R. de Sebond, mise de lat. en fr. [titre d'apr. CIORANESCU 16e, 14719]); 2. 1680 « classe où on enseigne la théologie » aller en théologie (RICH.); 3. 1798 « recueil des ouvrages théologiques d'un auteur » (Ac.); 4. id. « doctrine théologique particulière » (ibid.). B. 1. 1375 « science de la mythologie, cosmogonie » (RAOUL DE PRESLES, trad. AUGUSTIN, De Civ. Dei, VI, 1 d'apr. P. ZUMTHOR ds Z. rom. Philol. t. 72, p. 360), très rare; 2. 1670 « (dans les religions autres que le christianisme) doctrine, étude religieuses » (PASCAL, Pensées, 775 ds Œuvres, éd. J. Chevalier, p. 1327: Les Grecs et les Latins ont fait régner les fausses déités, les poètes ont fait cent diverses théologies); 1694 la theologie des Payens (Ac.). Empr. au lat. theologia « étude, science des dieux, mythologie » (VARRON ap. AUGUSTIN, Civ., 6, 12); dans la lang. chrét. « science, étude de Dieu » (déb. IVe s., MARCELLUS VICTORINUS, Ephes., prol.: cognitionem theologiae, id est Christi mysterii ipsius), « théodicée, étude de la divinité basée sur la raison » (IVe-Ve s., AUGUSTIN., op. cit., 6, 8 ds BLAISE Lat. chrét.); au Moy. Âge « doctrine théologique » theologia Spiritus Sancti (IXe s. ds BLAISE Latin. Med. Aev.), « explication rationnelle du Révélé » (1re moit. XIIe s. ABÉLARD ds Théol. cath. t. 15, 1, col. 345). Le lat. est empr. au gr. « recherche sur la divinité, les choses divines; science de la divinité » (PLATON, ARISTOTE); dans la lang. chrét. « doctrine de la divinité de J.-C. » (IIIe s. ORIGÈNE, v. Théol. cath., loc. cit. et LIDDELL-SCOTT). Fréq. abs. littér.:1 078. Fréq. rel. littér.: XIXe s.: a) 1 928, b) 904; XXe s.: a) 1 300, b) 1 671. Bbg. FRIES t. 4 1967.

théologie [teɔlɔʒi] n. f.
ÉTYM. V. 1270; lat. chrétien theologia, lui-même grec theologia; de theos (→ Théo-), et logia (→ -logie).
———
I (Dans la religion chrétienne et dans les systèmes philosophiques d'inspiration chrétienne).
1 a Étude des questions religieuses (→ Dogme, cit. 4; morale, et aussi culte, droit canon, prédication) fondée principalement sur les textes sacrés, la tradition, etc. ( Révélation 2.), à la différence de sciences comme l'histoire des religions ou la sociologie religieuse, des disciplines comme la philosophie ou la métaphysique, qui considèrent ces problèmes d'un point de vue rationaliste.Spécialt (dans le christianisme, et notamment le catholicisme romain). || Théologie révélée ou sacrée (par oppos. à théologie rationnelle ou naturelle; → ci-dessous, I., 1., b). || Théologie scolastique (cit. 2) ou spéculative : systématisation rationnelle des données fournies par la théologie positive, qui se subdivise elle-même en théologie scripturaire, patristique, conciliaire.Théologie dogmatique, morale ( aussi Casuistique), mystique, canonique, liturgique, parénétique. || Théologie polémique. Apologétique. || Importance de la théologie au moyen âge. Scolastique (II., 1.). || Question, point de théologie (→ Magistral, cit. 1). || Les controverses de la théologie. Disputation (vx); → Philosophie, cit. 1. || École, faculté, professeur, études de théologie (→ Banc, cit. 2; extraire, cit. 6; hésiter, cit. 13; séminaire, cit. 1). || La Sorbonne, école de théologie de Paris sous l'Ancien Régime. || Faculté de théologie protestante de Strasbourg. || Docteur en théologie (→ Grève, cit. 5).REM. Pour le vocabulaire de la théologie → Christianisme, église, hérésie, religion.
1 Pour votre question de théologie (…) elle ne touche point à ce qui dépend de la révélation, ce que je nomme proprement théologie; mais elle est plutôt métaphysique et se doit examiner par la raison humaine.
Descartes, Correspondance, À Mersenne, 15 avr. 1630.
Par anal. (généralement avec une valeur péjorative). Système dogmatique et abstrait. aussi Scolastique (supra cit. 4).
b Théologie rationnelle ou naturelle : partie de la philosophie qui traite de l'existence de Dieu, de ses attributs, en se fondant (en affirmant se fonder) sur la raison (I., 5.) et l'expérience. Théodicée (2.).Théologie physique, qui a pour objet de démontrer l'existence de Dieu par l'ordre et l'harmonie de l'univers (preuve physicothéologique).Théologie morale, qui a pour objet de démontrer l'existence de Dieu en se fondant sur les fins morales de l'homme.
2 (Avec un déterminant, adjectif ou complément de nom). Doctrine de l'Église, étude théologique portant sur un point déterminé de dogme, de morale, etc. || La théologie du sacerdoce (cit. 2). || La théologie sacramentaire (→ Sacrement, cit. 1).Doctrine théologique particulière, manière particulière d'aborder et de traiter les problèmes de théologie. || La théologie de saint Augustin, de saint Thomas d'Aquin. || La théologie des Pères. || Une théologie subtile mais peu orthodoxe.
2 Je lui ai montré un peu de théologie, de cette ancienne et bonne théologie des Bossuet, des Arnauld, des Fleury.
Stendhal, le Rouge et le Noir, I, XXV.
3 Recueil des ouvrages de théologie d'un auteur; traité de théologie. || La théologie de Bellarmin (1613).
4 (XIVe). Études de théologie (au sens I, 1, a). || Faire sa théologie. || Après trois mois de théologie (→ Sacristain, cit.).
———
II (En parlant d'une religion autre que le christianisme). || La théologie juive (→ Hypostase, cit. 1). || Les plus anciennes théologies furent inventées chez les Indiens (→ Sanscrit, cit. 1, Voltaire). || La théologie musulmane.
DÉR. Théologal, théologien, théologique, théologiser.
COMP. V. Théologico-.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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